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© École d'architecture de paysage
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[1] Liste des images

Catastrophes naturelles et paysages sublimes.
Le cas de la tempête du verglas de 1998.

Bruno Gadrat - 2001labash-conference.html - rev. 03 mars 2001 - Conférence

Résumé et courte biographie

[2] La pluie verglaçante a continué de tomber, d'une beauté effrayante, invraisemblable, démesurée, sauvage. De cette sauvagerie qui vous arrête, figé dans la peur d'être dévoré, broyé. [3] Êtes-vous prêts à apprécier et créer des paysages sublimes ?

De quoi parlons-nous ?

[4] Le paysage
J'utiliserais le mot paysage dans sa signification la plus usuelle. C'est-à-dire formant un tout indissociable entre une étendue de pays, un (des) observateur(s) et la relation de cet observateur au pays. Ces trois éléments interviennent dans la formation du paysage sublime. Nous devrons donc les explorer. [5] Pris ensembles, ils permettent de distinguer les architectes paysagistes de ceux qui focalisent leur connaissances et leurs actions sur un seul de ces trois éléments. Voici quelques exemples: géographes, écologues, économistes pour le pays - spécialistes de la vision, sociologues, psychologues pour l'individu - artistes, politiques, publicitaires pour la relation de l'individu au pays.

Mais que veut dire sublime ?

[6] Des mots à la mode
Quand j'étais à l'école j'aimais bien mettre des grands mots sur mes projets. Ça va être très beau, magnifique, extraordinaire, sublime, c'est subliiime !
C'est bon "sublime", essayez-le. [7] Vous allez voir comme cela donne du tonus à vos projets. Surtout les projets les plus vites faits. Ceux où l'on a jeté sur le papier quelque chose d'incohérent à la dernière minute. On aime tous les grands mots. [8] C'est très pittoresque. Ouch !? est-ce une insulte ? [9] [10] [11] Urbain, champêtre ça peut encore aller mais bucolique est-ce que c'est une maladie incurable ? [12] Et l'arcadien ... est-ce que ça gratte ?
Les professeurs semblent savoir de quoi ils parlent.
[13] Avez-vous déjà entendu des extra-terrestres parler entre eux. On ne sait jamais s'ils ont un problème de turbosynchonisation sur l'hyperpropulsion de leur vaisseau galactique où s'ils se proposent de vous manger comme mets exotique.
[14] Dans ces cas là, il faut essayer d'être amis. On utilise quelques mots qui ont l'air bien.
Ils se repèrent facilement sur la figure du professeur quand on les prononcent. Essayez par exemple "Ça augmente la biodiversité" : ) et [15] "C'est très littéral" : ( L'avantage de cette méthode est que l'on a pas besoin de savoir ce que cela veut dire. Subliiime. Il vaut mieux utiliser des mots qui peuvent avoir des significations floues. [16] Sinon le dessin contredit immédiatement le propos. "De la biodiversité ça ? franchement !"

Une signification usuelle
Le dictionnaire est très utile. [17] Sublime: (adjectif) Ce qui est le plus élevé, en parlant de choses morales, intellectuelles, artistiques, des sentiments ou de la façon dont on s'est conduit.
Avec une telle définition on peut vraiment l'utiliser n'importe quand. C'est sublime.
[18] Essayez arcadien dans votre petit dictionnaire. Arcadien: D'Arcadie, idyllique, champêtre. C'est finalement pas si mal, peut-être un peu trop "campagne" pour certains projets urbains. [19] Mais essayez donc d'y mettre de la conviction: Arcaaadien Arcadiiien.

Référence à une tendance esthétique de la période romantique
[20] Une bonne partie du vocabulaire utilisé pour qualifier les projets est lié à des esthétiques portées par la société. Ces esthétiques ont souvent germées dans des mouvements artistiques.
[21] Vers la fin du 18e siècle en France, une esthétique du sublime s'est développée (Edmund Burke 1756) . Elle sera présente et active au début du 19e siècle. C'est à dire un peu avant et un peu après la révolution française. [22] C'est une période a double aspect logique et sensible qui s'opposent dans le néoclassicisme et le romantisme.
[23] Pour les romantiques, la nature et le naturel deviennent des règles de vie. Le paysage est vénéré. L'individu devient intéressant par sa sensibilité, son intuition, son âme. Cet idéal n'est pas isolé dans l'histoire. On le retrouve par exemple dans le gothique. Il semble d'actualité. [24] Ce qui est intéressant, c'est que le sublime soit associé à l'exaltation de ce que la nature peut nous offrir de plus sensible.

Une définition esthétique du sublime
[25] Le sublime contribue à la beauté en y ajoutant un côté admirable et grandiose mais aussi effrayant.
[26] Le col du Saint-Gothard par J.M.W. Turner (mille-huit-cent-trois mille-huit-cent-quatre ) correspond parfaitement à la conception du sublime au début du dix-neuvième siècle. Au travers de récits et de peintures, nous apprenons les caractéristiques principales de cette façon d'apprécier le monde. [27] Par exemple sa puissance massive, hors de notre contrôle, [28] ou son atmosphère angoissante pourtant chargée d'une beauté extrême. Voici quelques images qui correspondent à cette époque.

[29] [30] [31] [32]

Le sublime n'est plus présent dans sa forme initiale

[33] Ce qui était sublime ne l'est plus.
Ces images semblent en décalage par rapport aux termes employés dans la définition du sublime. [34] Vous avez probablement trouvé cela beau. Admirable et grandiose semblent des qualificatifs un peu exagérés. [35] Est-ce que vous avez eu peur ? Est-ce que vous avez senti une angoisse monter en vous ? Probablement pas. [36] Ce qui était sublime au début du dix-neuvième siècle est devenu ordinaire. Notre relation au pays a changé. [37] En particulier notre relation avec la nature, l'ingrédient principal du sublime.

La nature est démystifiée.
[38] Notre planète a été explorée dans ses moindres recoins. La nature ne nous fait plus peur. [39] Elle a été décrite, mesurée, analysée, simulée par tant d'études scientifiques que plus rien ne semble inconnu. [40] Elle est maintenant piégée dans les écrans du cinéma et de la télévision. Si vous voulez voir de la nature allumez votre poste de télévision. Vous la verrez bien mieux qu'en vrai, de près et sans attendre. [41] Vous saurez tout sur la nature. Il n'y aura plus de mystère, plus de surprise.

[42] La nature sauvage est devenue virtuelle.
La nature sauvage, qui risquait de nous faire peur, est devenue virtuelle. [43] La nature sauvage est bien trop dangereuse. Elle a peu a peu été éliminée de la réalité du pays. [44] Elle existe encore dans nos paysages imaginaires, dans nos illusions de paysages, nos paysages virtuels. [45] Autant de termes pour désigner un paysage dont pays n'existe pas dans la réalité.
[46] Un détail de l'aménagement réel peut faire surgir ce paysage virtuel.

[47] Il a neigé à gros flocons toute la nuit, sans vent.
La neige tombe encore, la visibilité est restreinte.

[48] Le lynx, biologiquement disparu de la région Montréalaise, pointe son nez sur un lambeau d'écorce relevée au centre de la fourche faite par deux grosses branches d'un Acer saccharinum de la Côte-des-neiges.

[49] Le paysage sauvage est là, visible aux initiés, parfaitement sécuritaire, sans nuire aux rares lynx vivant au pays.

L'imaginaire transforme le sublime en le maîtrisant par la pensée.
[50] Notre imaginaire a gardé la beauté de la nature sauvage mais pas la sauvagerie de la belle nature. Elle reste admirable mais n'est plus sublime. [51] L'effet est produit par la logique de notre pensée et non pas par les sensations. Notre cerveau maîtrise la situation. La peur instinctive n'est plus possible.

La dérive vers le sensationnel.
[52] Les sensations que la nature pourrait faire sont maintenant contrôlées et exagérées par les effets spéciaux du cinéma. De nombreux films mettent en scène la nature pour provoquer des émotions liées à l'angoisse et à la peur. Ce sont des effets sensibles. Poussés au maximum, ils deviennent sensationnels. Il manque la base essentielle du sublime: la beauté. L'accroissement permanent du niveau des sensations a un autre effet désastreux. [53] Il détruit la capacité à apprécier des variations subtiles de sensations. Il fait perdre notre sensibilité. [54] Trop de bruit rend sourd.

[55] Désensibilisation à la nature.
Les films ont envahis notre vie. En comparaison, la vraie nature semble bien tranquille et anodine. [56] D'ailleurs elle l'est la plupart du temps. Les aménagements et les explorations sont systématiquement soumis aux techniques du confort sécurisé. Nous y reviendrons.

[57] Le sublime n'est plus à la mode.
Les paysages sublimes ne sont plus à l'honneur à notre époque. [58] Chaque époque comporte un paysage dominant qui masque les autres paysages. Ces paysages cachés ont été dominants à un moment dans le passé, mais ils ne sont plus d'actualité. [59] Ils peuvent apparaître quand nous oublions le paysage principal. Certains aspects inhabituels du pays permettent de les faire surgir au premier plan. C'est le cas du paysage sublime.

[60] Nous n'y sommes pas préparé.
Le pays du paysage dominant montre à chaque instant les bonnes façons de voir et d'agir. Ce regard et ces actions règlent, à leur tour, la forme que prend le pays. Nous n'avons même pas à y réfléchir. [61] Ce n'est pas le cas avec les autres paysages. Il faut en avoir vu des représentations pour les identifier. Mais nous ne pouvons pas changer le pays de ces représentations. Nous ne connaissons donc pas les bonnes façons de faire. Sans la vérification par le faire, le voir reste incertain. Nous ne sommes donc pas préparés à les apprécier.

Le paysage actuellement dominant est confortable, séparé de la nature.
[62] Nous ne vivons plus avec la nature. Nous en sommes protégés par des intermédiaires. Avez-vous déjà essayé de dormir dehors, dans le froid ou sous la pluie ? [63] Vous souvenez-vous la dernière fois où vous avez cueilli un fruit ou un légume et l'avez mangé. Êtes vous morts de faim depuis ? Vous croyez probablement boire du vrai lait de vache chaque matin. [64] Survivre est devenu facile car la nature sauvage a disparu de nos vies réelle. Nous sommes assistés en permanence lui échapper. [65] Ce confort matériel est actuellement la qualité principale des pays industrialisés. Il est essentiellement soutenu par l'électricité.
Il est invisible car nous baignons dedans en permanence. C'est lui qui conditionne notre regard et nos actes. En temps normal nous ne pouvons pas lui échapper. Nos projets l'incluent automatiquement.

[66] Le paysage sublime est-il possible actuellement ?
Faire un projet inconfortable est actuellement mal accepté. Un projet qui fait peur ? Un projet pour vivre au pays. Pas un manège de foire. Accepteriez-vous de vivre dans l'angoisse ? Pensez-vous vraiment être à la bonne époque pour faire un projet sublime ?
[67] En fait il faut poser la question en sens inverse. Pouvons-nous à notre époque nous passer de l'expérience incroyable d'un paysage sublime ? Les films, les jeux vidéo et la réalité virtuelle cherchent toujours plus de sensations. La nature est revenue en force avec l'écologie. Le moment est donc propice au sublime. [68] Le seul problème est que le paysage de confort dominant tend à renvoyer le sublime dans le virtuel.

À la recherche d'un sublime actuel

Où retrouver le sublime ?
Cela ne nous laisse plus beaucoup de place pour expérimenter des lieux sublimes par nos propres sens.
[69] Les grandes catastrophes naturelles, comme la tempête de verglas de mille-neuf-cent-quatre vingt-dix-huit au Québec, nous offrent cette opportunité unique de passer du savoir au voir pour aboutir à la connaissance du paysage sublime.

La catastrophe naturelle et le paysage.
[70] Il faut tout d'abord distinguer la catastrophe naturelle du paysage. Une catastrophe est un changement rapide et inhabituel de l'état de la nature. Je prends ici le terme de nature dans son sens large. Ce qui existe vraiment, qui n'est pas le fruit de notre imagination. J'y inclus les hommes et leurs actions démentes. En fait les catastrophes arrivent très souvent sur la planète. Pour quelqu'un qui habite quelque part c'est un événement rare dans sa vie. Rare mais probable. Si vous n'avez pas encore été au milieu d'une catastrophe naturelle vous en subirez probablement une avant la fin de votre vie.

Sublime castor.
Il y a des grandes et des petites catastrophes. [71] Une famille castor qui s'installe fait un barrage. Tous les arbres meurent rapidement. C'est une petite catastrophe. On cherche à voir le castor, on admire son barrage, sa hutte, son habileté à construire. On voit tous ces arbres morts sur place. C'est incroyable, sur un hectare, tous morts. C'est effrayant. Le pays s'accommode bien de ces petites vallées inondées par le castor. Le paysage est donc sublime.
Et si le castor décidait de s'installer sur le petit ruisseau qui passe à côté de chez vous ? Il ne serait probablement plus digne de votre admiration. Vous auriez de ce fait perdu le sublime et gardé la catastrophe.

Le verglas de 1998.
[72] Le verglas de 1998 au Québec est une grande catastrophe. Aucune commune mesure avec une famille de castors qui s'installe dans une nouvelle vallée.

[73] couches de glace accumuléeLe verglas c'est la couche de glace qui se forme quand la pluie tombe sur des objets très froids. Chaque année nous avons du verglas au Québec. Cela dure habituellement quelques heures et produit une couche de quelques millimètres d'épaisseur.

[74] En janvier 1998, le verglas est tombé pendant plusieurs jours. La zone la plus touchée par la tempête a été nommée le "triangle de glace".

Au début, la glace sur les routes provoquait quelques accidents. Ensuite, les fils électriques, les branches et les pylônes cassés empêchaient la circulation. En dehors des zones inondées, la circulation a été rétablie dans les 48 heures. [75] Les lignes électriques ont commencées à être réparées. La tempête de glace s'est déplacée vers Montréal en faisant les mêmes dégâts. Montréal est une île fortement peuplée. Pour la sécurité civile, Montréal devenait prioritaire. [76] Le "triangle de glace" attendra. Les villages ont attendu l'électricité pendant un mois. Certaines maisons en campagne ont attendu deux mois.

[77] Sans électricité, le pays n'est plus viable.
Sans électricité, le pays n'est plus viable dans le cadre du paysage dominant. Oubliez votre confort. La plupart des objets domestiques ont besoin d'électricité, télévision, réfrigérateur, grille-pain. [78] Le paysage dominant a tellement façonné le pays que celui-ci n'est plus viable du tout. Ne buvez plus l'eau du robinet. Les stations d'épuration d'eau fonctionnent avec des systèmes électriques. Votre maison n'est plus chauffée. Vous pensiez être chanceux d'avoir une fournaise à l'huile. Le brûleur qui mélange et enflamme le carburant est électrique. Seules les maisons qui avaient conservé un ancien poêle à bois ou qui disposaient d'une génératrice électrique pouvaient encore se chauffer. Ne comptez pas sur le quincaillier pour en avoir. Les stocks sont insuffisants.
Pendant l'épisode de verglas la température était voisine de 0° Celcius. La pompe qui enlève l'eau de la cave est électrique.
La température a ensuite retrouvé sa normale de saison avec des froids aux alentours de moins vingt degrés Celcius. Douche, toilette, évier, lave-vaisselle, tuyaux ? Tout risque de geler. Vidé ou remplis d'antigel, vous ne pouvez plus rien utiliser.
Si vous quittez le pays maintenant, vous ne profiterez pas du paysage sublime du verglas.

Féerique puis sublime.
[79] Les pluies verglaçantes habituelles au Québec ont lieu 6 à 8 fois par an. Elles durent moins de deux journées. Les branches recouvertes de glace luisent dans le soleil. [80] L'ambiance est étincelante, féerique. Les routes sont vite dégagées. [81] Le paysage est merveilleux.
[82] Une pluie verglaçante de 4 à 6 jours correspond à l'exception de dix-neuf-cent-quatre vingt-dix-huit. Sur des infrastructures trop faibles, elle produit un autre paysage. Le pays est aussi beau qu'aux premiers instants, brillant dans le soleil. Mais la pluie verglaçante devient sauvage et destructrice. Le paysage peut devenir sublime.

Un paysage sublime temporaire.
[83] En janvier 1998, le phénomène du verglas a détruit la matérialité correspondant au paysage de confort. Le pays ne fonctionnait plus comme avant. Il s'est très vite réorganisé autour d'une autre façon de voir et de d'agir. La nature de chaque individu devenait plus visible. La survie, le courage, la solidarité, les relations avec les autres prenaient de la valeur. [84] La réalité de la nature existait à nouveau dans le pays et en chacun avec toute sa force et son incertitude. Elle était sensible à chaque instant. Ce paysage sublime n'a pas duré. Il s'est effacé avec le retour de l'électricité.

[85] Le défi de la connaissance paysagère.
Le verglas n'existe plus. Il a fondu. Vous n'étiez probablement pas sur place lors de cet événement. Que le paysage sublime du verglas ait existé pour moi n'est pas la question. Tout le défi de l'établissement de la connaissance paysagère réside dans le fait que ce paysage sauvage puisse exister pour vous maintenant et à l'avenir.

 

Constituer un paysage sublime accessible à tous

Apprécier le paysage sublime.
[86] Le savoir indispensable au paysage sublime est minimal. Il concerne juste les définitions des mots paysage et sublime. Le sublime est de l'ordre des sensations. C'est du beau qui fait peur. Lorsque cette beauté s'applique au pays, les trois éléments indissociables du paysage sont réunis.
Le pays doit être incroyablement beau et en même temps effrayant.
[87] Simplement muni de cette définition nous pouvons partir à la recherche d'une situation où le pays correspond à ces sensations. Nous aurons alors vécu un paysage sublime.
En théorie, c'est suffisant pour apprécier un paysage sublime. En pratique il faut pouvoir accepter ces sensations. Il faut pouvoir accepter que le pays fasse peur. Aimeriez-vous que votre pays fasse peur ? C'est à priori inadmissible. Le savoir "inutile" va devenir indispensable pour rendre la peur acceptable.

Des logiques nécessaires pour apprivoiser le paysage.
[88] La complexité du paysage ne peut pas se résumer par la somme de ses parties observées séparément selon des thématiques logiques. Les innombrables descriptions qui en résultent ne rendent pas compte du paysage. Elles ne font que nous rassurer dans l'apprivoisement progressif de celui-ci.
Chercher à connaître le paysage sublime par la logique semble absurde car celui-ci est essentiellement de nature sensible. C'est pourtant absolument nécessaire car nous ne sommes pas prêt à laisser nos sensations submerger notre raison. Notre confort mental en dépend.

[89] Petit verglas sur les ramures aux premiers rayons du soleil.

[90] Quelles branches? quelle glace? quel soleil? Betula, Forsythia, Spiraea, givre, glace, verglas. Soleil du matin ou du soir.

[91] Climatologie, botanique?

[92] Deux journées de pluie verglaçante de suite.
Le flou des petites brindilles scintillantes devient un graphisme épais qui se mouille et s'arrondit à la chaleur grise du jour.

[93] Comment fixer cette connaissance si subtile sans la détruire dans un concept symbolique de base de donnée.

[94] La précision de cette connaissance est nécessaire à son utilisation ultérieure. Il faut la décrire en détail. Un manque de précision nous ferait rater cet effet. La diversité des petits matins brillants n'a pas de sens dans une base de donnée.

[95] Comment ne pas fixer cette connaissance si elle est à la base d'une des multiples beautés du pays, sa beauté sauvage.
De ce sauvage qui se laisse apercevoir en compagnie d'une personne initiée.

[96] Des traces ou un contexte favorable et puis attendre et patienter encore pour enfin profiter de minutes éternelles.

[97] La beauté sauvage du paysage relève-t-elle de la criminologie, de l'écologie ou de la science de la patience?
[98] La nature sauvage est belle. Ce ne sont que des traces.

[99] Voir, revoir et revenir encore pour peut-être s'apprivoiser.

[100] La pluie verglaçante a continué de tomber, invraisemblable, démesurée, sauvage.
De cette sauvagerie qui vous arrête, figé dans la peur d'être dévoré, broyé.

[101] Esthétique du sublime ou contrôle social d'une panique statistiquement probable?

[102] Les arbres cassent, les branches tombent, les troncs brisent sous le poids de la glace accumulée.

[103] Quels arbres? Acer, Tilia, antennes de télévision, pylônes électriques.

[104] La nuit des nuages jaunes est morte.
La nuit est redevenue sauvage à faire briller les étoiles,

[105] les arbres se taisent enfin et la lumière de lune transperce les manchons boudinés et glacés de chaque herbe.

[106] Quelles herbes? la hampe florale desséchée d'un Hosta, la tête ronde d'un Sedum spectabile.
Deux millimètres de tige et dix centimètres de glace lui servent de compagnon.

[107] Audiologie, optique, génie physique?

[108] Les militaires patrouillent dans les rues vides. Ils surveillent les maisons abandonnées. Le pays est silencieux, figé dans la glace. Les gens sont partis dans les centres d'hébergement ou chez des parents. Que faites vous ici ?

Vous aimez les paysages sublimes ?

Produire des paysages sublimes.
[109] Pour produire des paysages sublimes il ne suffit pas de les apprécier. L'architecte paysagiste intervient sur le pays. Son intervention est ajustée par un contrôle d'effet sur le paysage. Mais de quel paysage ? Pensez-vous pouvoir être le maître du verglas. [110] Pensez-vous que la destruction des infrastructures vous permette de les disposer ailleurs ? Pensez-vous pouvoir demander un effort de qualité dans la reconstruction alors que tout est à refaire ? Pensez-vous être assez bien placé pour influencer les décisions ?

[110] Le retour sauvage au confort.
Au lendemain d'une catastrophe tout le monde intervient sur le pays. Qu'est-ce qui va guider leurs gestes à votre avis ? L'action est urgente. Les ajustements fins des négociations sont impossibles. Le paysage dominant revient en force, hors de contrôle, sauvage. [111] L'électricité revient avec ses nuages jaunes. Plus de poteaux, plus de fils, moins d'arbres. Plus de confort.

Le paysage passe par le jardin.
[112] Ce n'est pas au lendemain de la catastrophe que nous pouvons faire du paysage sublime. Soit nous le captons au hasard d'une catastrophe, soit nous le rendons sensible dans nos jardins. Peut-être deviendra-t-il dominant.
Le jardin est la représentation du monde. Le pays et la nature sauvage peuvent facilement entrer dans cette représentation. [113] Ferez-vous des jardins de paysages sublimes ?
Le jardin est une réalité virtuelle. Certains éléments comme les plantes font à la fois partie de la réalité virtuelle et de la réalité réelle. Une boucle sans fin est crée dans notre logique et dans notre perception. Le jardin est donc un lieu privilégié de connaissance du paysage et d'action sur celui-ci.

[114] Des étapes à franchir: savoir, voir et connaître
Seule la connaissance du paysage sublime est vraiment intéressante pour faire des jardins. En effet c'est à ce stade que tous les paramètres qui permettent d'ajuster la signification et la sensibilité sont intégrés. Le savoir accumulé sur le sublime est utile pour gagner du temps dans nos projets. Il permet de vérifier rapidement ce qui a été découvert au fil du temps. Tout doit être vérifié. Ce qui était sublime ne l'est peut-être plus. Seule l'expérience sensible peut nous le révéler.

[115] Sensation obligatoire.
Les grandes catastrophes sont des expériences uniques d'un éventuel paysage sublime. Un test en grandeur réelle. Tout le pays est concerné. La peur sera en nous et nous ne pourrons pas y échapper.
[116] Mais serons-nous émerveillés, admiratifs ? Si ce n'est pas le cas, ce sera juste une catastrophe épouvantable.

[117] La destruction du pays est-elle nécessaire ?
La destruction du pays est-elle nécessaire pour constituer un paysage sublime ? Certainement en partie. Car sinon la sauvagerie de la nature ne serait plus crédible. La peur ne pourrait plus exister. [118] Il ne suffit pas de l'avoir vu à la télévision. Il faut l'avoir vécu. Il faut que le risque existe et puisse avoir été expérimenté.
[119] Un épisode de grand verglas avant l'électricité n'aurait probablement pas été sublime. Le pays aurait peu souffert. Cela aurait plutôt été perçu comme une facilité pour la cueillette du bois.
Une fois que les indices du danger sont devenus sensibles, la peur existe. La destruction n'est plus obligatoire.
[120] De nombreux habitants du "triangle de glace" sont effrayés à chaque pluie verglaçante. La peur ne doit toutefois pas détruire la beauté du pays. Certains habitants ont maintenant peur à la simple annonce d'une pluie verglaçante. Il ne sont plus en mesure d'apprécier la beauté du pays. Ils fuient toute mise en situation qui pourrait leur rappeler ces sensations.

Du sublime dans chaque catastrophe.
Dans chaque catastrophe on retrouvera des valeurs de vie au pays qui sont celles du sublime. Le surgissement de la nature en chacune des victimes de la catastrophe sera là. Il y aura des scènes, des moments sublimes. Le paysage sublime n'est pas obligatoirement présent.

Catastrophe avec paysage sublime.
[121] Toutes les manifestations excessives de la nature n'ont pas le même potentiel pour créer des paysages sublimes. La catastrophe ne doit pas gâcher la beauté du pays.
[122] Par ses qualités lumineuses, le verglas est toujours beau, même quand il est destructeur. Un tremblement de terre, une coulée de boue ne rendent pas le pays plus beau. peut-être au moment de l'événement. Je n'ai pas essayé. [123] Une inondation a plus de potentiel. Comment ne pas admirer sans crainte des torrents furieux ou des miroirs infinis.

[124] Le sublime ne demande qu'à être réveillé.
La peur peut naître sans la destruction du pays. Les motifs pour être angoissé sont nombreux: l'isolement, le froid, le silence, le colza transgénique, l'électricité, [125] un arbre s'arrachant du bitume.
Rassurez vous, tout est normal. Il n'y a aucun danger. Tout est sous contrôle. Restez chez vous. Fermez les fenêtres. C'est une simple mesure de précaution. Il n'y a pas de danger. [126] Un camion citerne. Sublime.

[127] Antidote.
Pour terminer je voudrais signaler que les romantiques combattaient la raison avec la passion. L'inverse est également vrai. [128] Ce sera peut être utile si votre paysage dominant devient trop sublime.


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