Nouvelles technologies : des outils avec obligation d'un savoir-faire

Haute technologie en contact.
Le titre du congrès nous rappelle qu'à l'évidence, la haute technologie nous fait perdre le contact avec la réalité quotidienne pour nous emmener vers des sommets plus hauts, plus beaux.
Je vous propose de regarder les nouvelles technologies comme des outils.

Micro-ordinateur, système d'exploitation, traitement de texte, base de données, chiffrier (tableur), traitement et retouche d'images et de sons, intra- ou inter- net, tous les outils essentiels existent déjà.

Avec les interfaces graphiques des ordinateurs, popularisées par le Macintosh
et maintenant par Windows, l'apprentissage initial se résume essentiellement à la manipulation d'une souris pour être capable d'utiliser n'importe quel outil informatique.

Récupération de compétence

Avec les nouvelles technologies, nous récupérons des compétences d'autres professionnels.

L'un des premiers outils disponibles a été le traitement de texte. C'était une compétence spécifique des secrétaires. Mais quand on donnait un texte à frapper au secrétariat, on demandait implicitement de classer, répertorier et ranger le document.

Le rangement n'est pas le classement même s'il en est l'expression directe.

C'est le classement qui donne le sens des éléments mis ensemble. Cet ensemble de légumes est-il un jardin biologique, un jardin botanique ou un jardin maraîcher ?

Si dans une entreprise chacun fait son jardin qu'advient-il de l'entreprise ? Comment les autres membres peuvent-ils s'y retrouver ?

Perte de compétence

Les nouvelles technologies nous font perdre des compétences.

Des ronds et des barres, des lignes droites, pointillés, tirets, tangentes ou parallèles, des lettres et des mots copiés sur des pages entières.

l'apprentissage est maintenant réduit au choix dans un menu déroulant. Cette réduction du temps d'exécution se fait au détriment de l'apprentissage des tracés qui permet un regard lent et répété sur les formes.

Dans le jardin, la forme est un élément essentiel de son caractère, de son sens. Les nouvelles technologies permettent des tracés impeccables mais ne garantissent en rien le caractère et le sens de la forme produite.

Celle-ci est dépendante de l'assemblage général, du contexte de l'élément, de son entretien.

Maîtrise accrue de compétence

Les nouvelles technologies nous obligent à accroître nos compétences.

La pratique des réseaux est encore trop jeune pour être simple et efficace. Le partage des tâches n'est donc pas facile. La récupération des compétences oblige en conséquence à maîtriser l'ensemble de notre chaîne de production. Les outils technologiques sont disponibles mais le savoir-faire ne dépend pas d'eux.

Avec les nouvelles technologies, la manipulation des outils est simple et surtout, la correction est aisée. Il reste, à surmonter la maîtrise du langage utilisé et la maîtrise de l'effet sensible et/ou de sens.

La simulation n'est pas récente en architecture de paysage.

le dessin nous autorisait quelques libertés avec un code pictural souple,

la perspective réaliste par retouche photographique n'a pas cette liberté, toutes les règles doivent être parfaitement maîtrisées,

les toutes petites erreurs sont très visibles.

La maîtrise des règles de la perspective est nécessairement accrue par le photo-réalisme.

Par simulation, nous pouvons facilement vérifier si nous avons produit un effet sensible ou un effet de sens et ceci complètement indépendamment des règles du paysage mais en suivant scrupuleusement celles de la perspective.

Redéfinir avec précision les compétences actuelles

Les nouvelles technologies nous obligent à redéfinir précisément nos compétences.

Botanique

Viola x wittrokiana, la pensée des jardins est disponible dans presque toutes les couleurs. Elle est le résultat de nombreuses hybridations notamment de V.tricolor et V. lutea. Plante très polymorphe de part ses origines, annuelle ou bisannuelle, elle mesure de 15 à 20 cm. en fleurs.

Je vous épargne la description complète, vous la trouverez dans votre dictionnaire des végétaux.

Je vous l'épargne d'autant plus volontier que la plante n'est pas le jardin.

Jardin

Est-ce un parterre ou un massif ?

Le parterre suit des règles proches de celles de la tapisserie. Le massif est organisé pour produire une masse indifférenciée avec les nombreuses plantes. Les plantes sont distancées de 1 à 1,414 fois leur rayon adulte pour couvrir l'ensemble de la surface.

Le massif offre une surface visuelle unifiée, il est prévu suffisamment vaste pour que ses bords sortent du champ visuel, que l'oeil soit attiré et perdu dans la masse.

Les règles du jardin garantissent que l'aménagement sera reconnu comme jardin mais ne garantissent pas qu'il fera son effet.

Effet

Tache jaune lumineuse de petite dimension sur fond sombre rouge et vert.

Avec un regard prolongé qui diminue l'acuité du regard sur le fond ou bien un éloignement du massif, le rouge et le vert, qui forment un contraste de teinte, se fondent par partitivité en un jaune très foncé (brun) permettant ainsi un contraste principal sur la luminosité du jaune global de la scène.
Nous avons donc ici un contraste lumineux sur les jaunes pour un effet immédiat et un contraste secondaire de teinte dans le fond plus sombre pour un effet prolongé.

Information paysagère

Première lecture: la pensée est une mauvaise herbe, les meilleurs peuvent s'égarer.
Quelle sera votre action ? la tondeuse ou la transplantation.

Deuxième lecture: le pissenlit (Taraxacum officinale L.) est une fleur magnifiquement vive, nous disposons chez nous d'un potentiel énorme, inexploité et injustement dévalorisé.
Quelle sera votre action ? transplanter les pissenlits pour en faire un massif ou supprimer les montées à graines pour profiter des fleurs sans craindre l'envahissement.

Dans les deux cas, c'est notre façon de voir le monde et de vivre le pays qui sont exprimés. La pensée (Viola x wittrokiana) est alors une information du paysage.

En fait, l'exemple de la pensée (Viola x wittrokiana) nous révèle aussi l'éloignement qui existe avec les nouvelles technologies. Dans un cas nous fabriquons un jardin et dans l'autre nous fabriquons des informations sur les jardins.

À part dans la réalité virtuelle, l'image n'est pas la réalité. La liaison entre le jardin et l'information retrouve son intérêt lorsqu'on travaille l'information pour qu'elle rende possible le jardin. C'est tout un nouveau mode de conception qui s'ouvre à nous grâce aux nouvelles technologies.

Invention de nouvelles compétences

Avec les traitements de l'information nous devons inventer de nouvelles compétences.

Ce changement du sujet de l'intervention (du lieu réel à l'information sur ce lieu) nous force à acquérir une compétence d'action indirecte sur le lieu. Quelle est la bonne information, quel traitement lui sera appliqué et quelles conséquences cela entraînera sur le changement de réalité.

En voici trois exemples.

Nous menons actuellement une recherche sur la caractérisation visuelle d'anciens paysages ruraux par géomatique. La réalité ancienne a disparu. Il en reste des traces sous forme d'informations comptables rattachées à des propriétaires.

Quelques gravures très ponctuelles nous donnent des informations visuelles sur le paysage.

Les nouvelles technologies, vont nous permettre de définir et de valider les règles de correspondance entre ces informations de nature différente afin de les appliquer à l'ensemble du territoire.

L'analyse des contrastes visuels à hauteur d'oeil permet de localiser les contrastes principaux et les contrastes secondaires.

Elle s'applique aussi bien à l'analyse de l'existant qu'à l'analyse du projet. Ici c'est un projet d'entretien des prairies au centre.

L'entretien net des bords de ces prairies crée un contraste de vigueur moyenne qui ne gêne pas le contraste principal sur l'horizon rocheux tout en rendant plus visible la forme sylvo-pastorale du fond de la cuvette.

La cartographie des forts impacts visuels permet de localiser les éléments forts, agréables et désagréables du paysage, mais aussi de situer les zones homogènes très sensibles à tout aménagement.

Pour le gestionnaire du territoire savoir que le paysage est pittoresque ou sublime n'a pas d'incidence sur ses actions. Mais si le paysage est sensible, il sait qu'il devra faire appel à un spécialiste du paysage qui lui saura s'il est sublime ou pittoresque et les actions possibles dans ce contexte.

Aux informations qui sont utiles pour nous, architectes paysagistes, nous devons superposer la production d'informations qui permettent à d'autres professionnels de prendre en compte le paysage dans leurs propres champs de compétence.